04
2018

“Des surprises fiscales ne sont pas exclues”


L’approbation de l’accord sur le Brexit par les dirigeants 
européens n’a pas éliminé l’hypothèse d’un “hard Brexit”. Une profonde évolution des règles fiscales reste envisageable à partir du 30 mars 2019 si la législation européenne n’est plus d’application. Pour peu que la Grande-Bretagne veuille se profiler comme un pays fiscalement attrayant, les incitants britanniques ne pourront plus être contrôlés par la Cour de justice de l’Union européenne.

Le scénario d’un départ ordonné du Royaume-Uni s’est nettement rapproché avec l’approbation formelle de l’accord de séparation, dimanche dernier. Après deux années de négociations, Bruxelles et Londres ont donc trouvé un terrain d’entente. Reste à savoir si l’accord passera aussi aisément l’écueil du Parlement britannique. “Il sera de toute manière plus complexe de faire affaire avec le Royaume- Uni après le 29 mars”, affirment Pascal Vanzieleghem et Arne Smeets, respectivement associés Indirect Tax Services et International Tax Services chez EY. “Et d’abord parce que les règles fiscales, surtout en cas de ‘hard Brexit’, changeront dès que la Grande-Bretagne quittera la zone de libre-échange européenne.”

Existe-t-il un risque de double imposition?

ARNE SMEETS. “Il ne faut pas s’attendre à d’importants changements en termes d’impôts directs, car ils ne relèvent pas directement des compétences européennes. Les impôts directs demeurent une compétence nationale, même si les États membres recherchent une harmonisation et ne peuvent utiliser cette arme les uns contre les autres. Cela dit, certaines directives spécifiques pourraient ne plus du tout être appliquées dans les relations avec le Royaume-Uni. Comme la directive mères-filiales, ce qui modifiera le traitement fiscal des dividendes (et/ou les formalités qui l’entourent). Mais aussi pour les paiements d’intérêts et de royalties, pour lesquels c’est la directive européenne sur les paiements d’intérêts et de redevances qui permet actuellement l’exonération de l’impôt à la source.”

“Les entreprises qui ne faisaient affaire que dans des États membres de l’Union européenne pourraient se retrouver dans un contexte différent, avec des formalités d’importation et d’exportation.”
Pascal Vanzieleghem, associé Indirect Tax Services chez EY
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Les États membres de l’UE retombent-ils automatiquement sur leurs conventions fiscales bilatérales avec le Royaume-Uni?

ARNE SMEETS. “En principe, mais pour ce qui concerne la Belgique, elles auront souvent le même résultat que l’exonération du prélèvement à la source. Par ailleurs, le Royaume-Uni a indiqué qu’il continuerait à respecter les évolutions internationales dans la lutte contre la fraude fiscale, ainsi que le prévoit la directive concernée.”

Que pouvons-nous attendre en matière de TVA?

PASCAL VANZIELEGHEM. “Le Royaume-Uni maintiendra un système de TVA après le Brexit. Pour les transactions locales à l’intérieur du pays, rien ne suggère de profondes évolutions dans un futur proche. Le point positif est que les deux parties ont l’intention de réduire au minimum l’impact du Brexit pour le commerce transfrontalier. Ainsi le Royaume-Uni prévoit-il un règlement selon lequel la TVA sur les produits importés pourra être payée via la déclaration de TVA et non au moment du passage de la frontière. Ce n’est pas qu’une question de forme: ce type de mesure peut avoir un impact considérable sur les cash-flows d’une entreprise.”

Des surprises sont-elles encore possibles après le 29 mars?

PASCAL VANZIELEGHEM. “Des surprises ne sont pas exclues, surtout si nous nous dirigeons finalement vers un ‘hard Brexit’. Le risque existe que la base de calcul de la TVA doive être majorée des droits d’importation. Les Britanniques auront en revanche davantage de liberté pour réformer leur législation en matière de TVA. Tant qu’on ne sait pas si le deal sur le Brexit sera définitivement approuvé, il reste difficile de s’y préparer dans une perspective fiscale. D’où notre conseil d’établir l’inventaire des domaines qui peuvent subir l’influence du Brexit. Au niveau opérationnel ainsi que dans les ressources humaines, les contrats et donc la situation
fiscale.” “Ce n’est pas un exercice inutile. Même en l’absence de Brexit ‘dur’, cet inventaire pourra être utilisé au terme de la période transitoire. Les formalités administratives gagneront de toute manière en complexité. Elles exigeront notamment des modifications des systèmes informatiques et de facturation. Peut-être devrez-vous enregistrer en Grande-Bretagne le chiffre d’affaires que vous réalisez de l’autre côté de la Manche… De nombreuses simplifications ne pourront plus être appliquées. Pensez aux ‘transactions ABC’, avec par exemple un fournisseur A aux Pays-Bas qui vend à un client B en Belgique, lequel vend ensuite à un client C au Royaume-Uni – alors que, d’un point de vue logistique, les marchandises sont directement transportées des Pays-Bas au Royaume-Uni. Aujourd’hui, les formalités et l’effet sur les liquidités sont réduits à un minimum par une simplification de la législation. En cas de ‘hard Brexit’, cette simplification disparaîtra et la partie B devra sans doute désigner un représentant fiscal au Royaume-Uni. Cela aussi aura une influence sur les coûts. Sans oublier l’impact des Incoterms.” “Quoi qu’il en soit, plus les régimes fiscaux différeront, plus la situation sera complexe et plus les risques de litiges augmenteront. Or, la Cour de justice de l’Union européenne ne sera plus compétente pour les actes posés au Royaume-Uni.”

Même en l’absence de Brexit ‘dur’, cet inventaire pourra être utilisé au terme de la période transitoire. Les formalités administratives gagneront de toute manière en complexité. Elles exigeront notamment des modifications des systèmes informatiques et de facturation. Peut-être devrez-vous enregistrer en Grande-Bretagne le chiffre d’affaires que vous réalisez de l’autre côté de la Manche… De nombreuses simplifications ne pourront plus être appliquées. Pensez aux ‘transactions ABC’, avec par exemple un fournisseur A aux Pays-Bas qui vend à un client B en Belgique, lequel vend ensuite à un client C au Royaume-Uni – alors que, d’un point de vue logistique, les marchandises sont directement transportées des Pays-Bas au Royaume-Uni. Aujourd’hui, les formalités et l’effet sur les liquidités sont réduits à un minimum par une simplification de la législation. En cas de ‘hard Brexit’, cette simplification disparaîtra et la partie B devra sans doute désigner un représentant fiscal au Royaume-Uni. Cela aussi aura une influence sur les coûts. Sans oublier l’impact des Incoterms.” “Quoi qu’il en soit, plus les régimes fiscaux différeront, plus la situation sera complexe et plus les risques de litiges augmenteront. Or, la Cour de justice de l’Union européenne ne sera plus compétente pour les actes posés au Royaume-Uni.”

Comment les entreprises peuvent-elles se préparer au mieux?

ARNE SMEETS. “Les possibilités et scénarios sont légion selon la manière dont le Royaume-Uni quittera l’Union européenne et dont les deux parties organiseront leurs relations futures. Un conseiller fiscal pourra juger dans quelle mesure la convention fiscale entre la Belgique et le Royaume-Uni offre une issue. Il peut également être nécessaire de prendre des mesures de précaution, entre autres pour modifier l’organisation ou le financement de votre groupe.”

PASCAL VANZIELEGHEM. “Outre la vente, il est important que vous vous fassiez bien entourer. Les entreprises qui ne faisaient affaire que dans des États membres de l’UE pourraient se retrouver dans un contexte différent, avec des formalités d’importation et d’exportation. On le voit, il est crucial de connaître les domaines qui pourraient subir l’impact du Brexit. Vous pourrez ainsi réagir immédiatement lorsque la façon dont le Royaume-Uni quittera l’UE se sera quelque peu précisée.”

Pascal Vanzieleghem
associé Indirect Tax Services chez EY
+32 9 242 52 16
Arne Smeets
associé EY Tax Consultants
+32 2 774 63 63